Source : Polemia
Michel Geoffroy, essayiste
Alain de Benoist décrypte le moment populiste
♦ On recommandera la lecture du dernier ouvrage d’Alain de Benoist, Le Moment populiste/ Droite-gauche c’est fini !» (1) car il tombe à point nommé en cette année électorale. Mais pas seulement pour cette raison.
Comme son titre l’indique, l’ouvrage traite de ce que recouvre la notion de populisme de nos jours. Mais il nous invite aussi à une réflexion plus large sur le libéralisme, sur la communauté et sur l’avenir du clivage gauche-droite. Et comme toujours avec Alain de Benoist, son étude, riche en références et en mises en perspective, invite au surplus le lecteur à approfondir l’analyse.
Le populisme, expression d’une nouvelle demande politique et sociale
Qu’est-ce que le populisme ?
Pour les tenants du Système, le populisme constitue une menace politique qu’il faut conjurer, surtout depuis la victoire du Brexit au référendum britannique et celle de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. Le populisme, pour cette raison, prend dans les médias mainstream une connotation toujours très négative et péjorative : il serait la marque de la démagogie voire du retour des « heures sombres de notre histoire ».
Pourtant les mouvements et les leaders populistes s’installent durablement dans le paysage politique occidental. Pourquoi ? Parce que :
« Les partis populistes ont été les premiers à percevoir un changement de la demande politique et sociale que les partis traditionnels (…) ne comprennent pas parce qu’ils sont mentalement prisonniers d’habitudes et de schémas de pensée qui le leur interdisent. La classe politique se trouve ainsi frappée d’illégitimité parce qu’elle ne résout plus aucun problème et n’offre aucun moyen de surmonter la crise généralisée du Système, mais paraît au contraire y contribuer. »
En quelques mots Alain de Benoist résume l’essentiel : le populisme résulte du décalage croissant entre l’offre de la classe politique occidentale et la demande de l’électorat.
Fin de la gauche ou droitisation ?
Ce décalage est particulièrement sensible pour la gauche puisqu’elle a abandonné à partir de 1983 la cause du peuple pour celle des marchés et des immigrants.
De fait, Alain de Benoist montre comment l’électorat ouvrier tend désormais à délaisser les partis de gauche pour les formations alternatives ou populistes : que ce soit en France, en Grande-Bretagne, en Autriche, aux Etats-Unis ou en Autriche.
S’agit-il pour autant d’une « droitisation » de la société, comme disent paresseusement nos médias ? Pour Alain de Benoist il n’en est rien puisque les partis traditionnels de droite connaissent une hémorragie de même nature.
Cela le conduit à s’interroger justement sur la pérennité d’un clivage qui remonte en France au XIXe siècle, lorsqu’à partir de l’affaire Dreyfus le courant socialiste se rapproche de la gauche républicaine. Alain de Benoist estime que :
« Le clivage droite-gauche n’a en réalité plus de valeur opérationnelle pour analyser les phénomènes politiques nouveaux, à commencer par les populismes. La preuve en est que les programmes des partis populistes associent fréquemment thématiques de gauche et thématiques de droite. »
Et symétriquement, les partis politiques au pouvoir, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’hésitent pas à s’allier pour contrer la progression des mouvements populistes : preuve que l’ancien clivage perd de sa consistance, non seulement à la base mais aussi au sommet du système politique.
Le populisme : expression d’un nouveau clivage politique et social
Le sous-titre de son ouvrage le démontre amplement : Droite-gauche c’est fini ! Alain de Benoist n’a pas mis de point d’interrogation mais un point d’exclamation. Car pour lui la cause est entendue.
Le populisme exprime le fait que le clivage horizontal opposant la gauche et la droite est en perte de vitesse depuis que la gauche s’est ralliée au néo-capitalisme et que la droite a fait siennes les conceptions sociétales de la gauche. Le populisme repose, au contraire, sur un clivage plus vertical et désormais plus dynamique : celui qui oppose les peuples à leurs élites, celui qui oppose les patriotes aux mondialistes, celui qui oppose ceux d’en bas à ceux d’en haut.
Le populisme apporte ainsi un démenti à ceux qui prévoyaient la fin des idéologies voire la fin de l’histoire. Car le déclin voire la fin du clivage droite-gauche ne marque pas la fin du politique, tout le monde étant appelé à communier dans les mêmes « valeurs » – sauf les méchants extrémistes, bien sûr – comme nous y invitent les tenants intéressés de l’Union nationale et du Je Suis Charlie.
Le populisme correspond, au contraire, à la définition d’une nouvelle « grande querelle » politique mais aussi morale et sociale, pour reprendre l’expression de Charles De Gaulle. Donc d’un nouveau clivage politique.
Une analyse plus large du populisme
L’intérêt de l’étude d’Alain de Benoist tient cependant au fait qu’il n’en reste pas au niveau événementiel ni a fortiori politicien du phénomène populiste. Il replace en effet l’analyse du moment populiste dans un cadre économique et social, voire civilisationnel, plus large et de plus longue durée. Et cette analyse prend une part essentielle dans son essai.
Pourquoi le moment devient-il populiste en effet ? Parce que, pour Alain de Benoist, la mise en œuvre de l’idéologie libérale et libertaire par l’oligarchie occidentale aboutit à des résultats désormais de plus en plus catastrophiques pour le plus grand nombre et que le Système ne parvient plus à cacher, malgré sa propagande incessante en faveur de la « mondialisation heureuse » ou du « vivre ensemble ».
Car le mépris du peuple qui se trouve à la racine du rejet du populisme par l’oligarchie reflète le caractère antisocial de son projet.
Comme l’écrit Alain de Benoist « des fractions de plus en plus grandes du peuple se sentent exclues, incomprises, méprisées, oubliées. Elles ont l’impression d’être devenues inexistantes, d’être superflues, d’être en trop ». Mais ce n’est pas qu’une impression : cela correspond à la réalité du mondialisme que l’oligarchie appelle de ses vœux.
Aujourd’hui avec l’immigration et la délocalisation l’oligarchie pense pouvoir réaliser le rêve du Père Ubu : remplacer, dans tous les sens du terme, les peuples qui gênent, notamment qui gênent les profits des entreprises transnationales, désormais plus puissantes et plus arrogantes que les Etats. Et avec le libre-échangisme et la financiarisation de l’économie, aujourd’hui la richesse devient transnationale et nomade quand la pauvreté et la précarité restent nationales.
Les fruits amers de l’idéologie libérale
Alain de Benoist nous démontre que cette catastrophe n’a rien d’accidentel mais qu’elle réside au cœur de l’idéologie libérale et de son individualisme méthodologique radical.
Car la preuve est faite que le marché ne fait pas et ne peut faire société. Au contraire, il la détruit, pour laisser l’homme réduit à l’état de monade désirante, livré au gouvernement des choses, comme disaient les Saint-Simoniens – et transformé lui-même en marché et en marchandise, donc mis en esclavage. L’ouvrage se conclut ainsi sur une très intéressante analyse du concept de fraternité dans la devise de la République Française : Liberté/Egalité/Fraternité. Le terme même de libéralisme nous trompe, en effet.
Reprenant l’analyse de Jean-Claude Michéa, Alain de Benoist rappelle que le libéralisme ne vise pas tant la liberté que la recherche, au travers de la soumission de tous les rapports sociaux à la logique providentielle du marché, d’un ordre qui soit le plus axiomatiquement neutre et donc indifférent à toute définition de la vie bonne et du Bien Commun.
Mais cela ne débouche pas sur le bonheur promis par ceux qui prétendent depuis le XVIIIe siècle défendre nos « droits », mais sur le cauchemar social. Et notamment sur la destruction de toute communauté et donc de toute démocratie et de toute fraternité.
Le populisme ou le grand retour du NOUS en politique
La démocratie mondiale que nous vantent les oligarques cosmopolites pour déconstruire la souveraineté des nations correspond, en effet, à une contradiction dans les termes : la démocratie suppose une communauté circonscrite et non pas étendue à l’infini, ce qui en serait la négation. De même la fraternité « définit un nous collectif par opposition à ceux qui n’appartiennent pas à ce nous (…). Elle donne à ce nous la possibilité de faire corps ». C’est pourquoi la déconstruction libérale des communautés et des nations que l’oligarchie met en œuvre débouche en réalité sur le chaos de la guerre de tous contre tous et non pas sur la paix perpétuelle.
Il est intéressant de noter qu’Alain de Benoist rejoint sur ce plan les conclusions d’Hervé Juvin dans son livre Le Gouvernement du désir (2) : le populisme exprime aussi le grand retour du collectif et du communautaire sur la scène politique : le besoin qu’éprouvent les peuples occidentaux à se conjuguer à nouveau à la première personne du pluriel : de se dire nous, justement. Le besoin de s’affirmer au travers d’une identité, d’une communauté ou d’une nation. Alors que l’oligarchie voudrait nous dissoudre dans un grand néant métissé, indifférencié, idéologisé et marchandisé.
Le moment sera-t-il à nous ?
Alain de Benoist nous fournit par conséquent une grille de lecture originale et éclairante du phénomène populiste.
Reste à savoir si le peuple français pourra se saisir de ce « Moment populiste » en 2017 pour reprendre possession de son destin, ou si les manigances de l’oligarchie l’en empêcheront encore une fois.
Réponse dans quelques semaines.
Michel Geoffroy
6/04/2017
Notes :
1/ Alain de Benoist, Le Moment Populiste Droite-Gauche c’est fini !, Pierre Guillaume de Roux 2017, 335 pages
2/ Hervé Juvin, Le Gouvernement du Désir, Le Débat Gallimard, 2016
Correspondance Polémia – 8/04/2017