Entretien paru sur Boulevard Voltaire
Voilà un an qu’Emmanuel Macron, le Président que personne n’avait vu venir, est à l’Élysée. Que sait-on, maintenant, sur lui ? Peut-on dresser un premier bilan de son action ?
Macron a eu beaucoup de chance. Mais il faut reconnaître qu’il a su forcer la chance. Il a parfaitement mesuré l’envie de « dégagisme », de renouvellement, mais aussi de « verticalité », qui montait dans l’opinion depuis des années. Instruit par l’expérience de ses prédécesseurs, dont il ne veut pas répéter les fautes, il a parfaitement compris que les vieux partis institutionnels ont fait leur temps et que le clivage droite-gauche ne veut plus dire grand-chose dès lors qu’il ne renvoie plus qu’à une « alternance unique ». C’est ce qui lui a permis de réussir là où Giscard et Rocard avaient échoué : regrouper au « centre » les libéraux de gauche et de droite acquis à la mondialisation.
Sur le plan de la personnalité, Macron est un libéral autoritaire, absolument pas un moraliste « humaniste » (il est aussi dénué de scrupules que Sarkozy, et s’il a fait appel à Jean-Michel Blanquer, c’est avant tout pour adapter l’école aux exigences de l’entreprise). « Agnostique » sur les problèmes de société, c’est un homme qui n’a pas d’amis mais seulement des conseillers techniques, qui a réussi à faire de ses ministres des employés et de sa majorité parlementaire une armée de zombies, simple reflet de son électorat. Le « macronisme », c’est Macron et rien d’autre.
Sa façon de gouverner est typique du style managérial : apparaître sympathique, ouvert et détendu, aller « au contact », favoriser par principe le « dialogue » et la « délibération », mais sans jamais dévier d’un pouce de ce qu’il a décidé par avance. En d’autres termes, parler avec tout le monde mais n’écouter personne. Main de fer et sourire commercial. C’est ainsi qu’il est arrivé à faire passer sa loi de « moralisation de la vie politique », puis la réforme du Code du travail, puis celle de la SNCF, en attendant celles de l’audiovisuel public, des retraites et de la fiscalité.
À sa manière, n’est-il pas, lui aussi, un populiste ?
Je le définirais plutôt comme un contre-populiste. Il a opéré pour la classe dominante le regroupement que les populistes tentent de réaliser à la base. Dans son vocabulaire, le clivage principal est désormais celui qui oppose les « progressistes » aux « conservateurs ». Les premiers sont tout simplement les libéraux, les seconds ceux qui restent attachés à des valeurs ou des principes que l’individualisme moderne n’a pas encore liquidés.
L’objectif qu’il s’est fixé est simple : réformer la France pour l’adapter aux exigences de la modernité libérale. Et pour ce faire, parier sur les ambitions et les initiatives individuelles des « premiers de cordée » plutôt que sur les énergies et les passions collectives. Cette volonté d’être en phase avec l’idéologie dominante est le cœur même de sa doctrine. « L’article un du macronisme, c’est l’européisme », constatait récemment Marcel Gauchet. L’idée sous-jacente est celle énoncée jadis par Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative. »
Comme l’a écrit Paul Thibaud, « Macron considère la France de l’extérieur, à partir de l’universalisme direct où il s’est établi. » Il reconnaît, certes, à l’appartenance nationale une valeur sentimentale, mais la réduit à sa capacité d’adaptation au milieu ambiant. La France n’est pas, pour lui, le support d’une identité commune, mais une quasi-entreprise (une « start-up ») qui doit avant tout se tourner vers l’avenir et à laquelle il faut donner toutes ses chances de réussir, fût-ce au détriment des perdants, étant entendu que sa capacité à réussir implique son alignement sur les critères de Maastricht, ce qui ne peut qu’aboutir à toujours plus de précarité, de dévaluation salariale, de difficulté à vivre pour cette partie grandissante de la population qui n’appartient pas aux secteurs compétitifs insérés dans la mondialisation. D’où sa réputation justifiée de « Président des riches » – mais sans doute faudrait-il plutôt dire de « Président des gagnants ». Les nouvelles fractures politico-sociales ne peuvent donc que s’aggraver.
Quelles sont les chances de l’opposition ?
Déjà assuré d’une majorité aux ordres, Macron n’a de surcroît aucune opposition crédible face à lui, ce qui est à peu près inédit dans notre histoire. Il gouverne de manière d’autant plus autoritaire qu’il manœuvre dans un champ de ruines. À gauche, le Parti socialiste ne parvient toujours pas à se relever, tandis que La France insoumise se divise de plus en plus entre les lignes d’Alexis Corbière et de Clémentine Autain ; c’est-à-dire entre partisans d’une forme de populisme inspirée de Podemos, qui veulent « fédérer le peuple », et ceux qui veulent surtout ne pas se couper des « forces de gauche ». Mélenchon fait partie des premiers, mais il ne peut aller jusqu’au bout de sa démarche, car cela l’obligerait à un changement de cap radical à propos de l’immigration.
À droite, la concurrence des appareils de partis ruine toute tentative d’union. Certes, la porosité est plus grande à la base, mais cela reste limité au plan local. À l’échelon national, il manque une figure charismatique nouvelle, susceptible de rallier aussi bien les classes moyennes que les classes populaires, rôle que ne peuvent tenir, pour des raisons différentes, ni Marine Le Pen ni Nicolas Dupont-Aignan ni Laurent Wauquiez. Sans une telle figure, tous les efforts de la « droite hors les murs » resteront vains. Il manque aussi, et peut-être surtout, l’aggiornamento doctrinal qui permettrait à cette droite de congédier une fois pour toutes la tentation libérale qui, de pair avec l’opportunisme, pousse tant de Républicains à rejoindre les rangs macroniens au motif qu’après tout, Macron réalise ce qu’ils voulaient faire eux-mêmes depuis longtemps.
Certains espèrent que, lorsque le macronisme aura commencé à décliner, le vieux paysage politique bipolaire va renaître de ses cendres après lui. Je ne le crois pas un instant. L’élection de Macron a engagé un processus de recomposition générale sur lequel on n’est pas près de revenir. C’est en cela que réside son caractère historique.
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
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