Entretien paru sur Breizh-info.com
L’année dernière, Alain de Benoist et Guillaume Travers, dans l’ouvrage La Bibliothèque du jeune Européen, présentaient 200 essais marquants dans l’histoire des idées. Un second volume vient de paraître : La Bibliothèque littéraire du jeune Européen. Il est consacré aux œuvres de fiction (romans, pièces de théâtre, récits mythologiques, poèmes, bandes dessinées…). Plus de 400 œuvres sont analysées, offrant ainsi un précieux guide de lecture.
Breizh-info.com : Quel est l’objectif de « La Bibliothèque littéraire du jeune Européen » ? Pourquoi les mots « jeune » et « Européen » ?
Alain de Benoist : L’objectif était simple. Il s’agissait de répondre à la question : que lire ? Et plus précisément : quels sont les livres que l’on doit avoir lu en priorité si l’on veut acquérir une bonne culture générale ? Nous avions déjà publié l’an dernier un volume consacré aux essais, qui présentait 200 livres et auteurs de premier plan pour se former intellectuellement et idéologiquement. Ce second volume porte sur la littérature, domaine foisonnant s’il en est. C’est la raison pour laquelle le nombre de livres et d’auteurs a doublé !
Un tel ouvrage s’adresse évidemment à tous les publics. Mais il nous a paru nécessaire de nous adresser en priorité aux « jeunes Européens », d’abord parce que c’est surtout à partir de l’adolescence que l’on a le plus besoin d’être guidé pour faire un choix, ensuite parce que les jeunes qui sont attachés au patrimoine littéraire français et européen sont sans doute plus demandeurs de repères encore que les autres, dans la mesure où ils tentent d’échapper à la pensée unique et à l’idéologie dominante. J’ajoute enfin qu’à l’époque de l’omniprésence des écrans, il nous a aussi paru indispensable de rappeler que rien ne peut remplacer le livre.
Breizh-info.com : Comment s’est opérée la sélection sans doute délicate des 400 œuvres ?
Alain de Benoist : Délicate est le mot qui convient. Les principaux collaborateurs de cet ouvrage collectif ont d’abord établi des listes en fonction de leurs préférences personnelles. On a aussi recueilli des suggestions. Après quoi nous avons élagué progressivement à partir de divers critères. Nous avons limité le livre aux œuvres d’auteurs occidentaux et avons délibérément choisi de ne parler que d’écrivains aujourd’hui disparus. Comme toujours, on ne manquera pas de regretter telle ou telle absence, mais c’est la règle pour ce genre d’ouvrages (d’autant plus que nous ne voulions nullement présenter une sorte d’histoire générale de la littérature mondiale). De Homère à Jean Raspail, nous avons finalement retenu 400 œuvres (et même un peu plus), ce qui n’est pas rien !
Breizh-info.com : Quels sont les romans qui ont marqué votre jeunesse ?
Alain de Benoist : J’ai été très tôt un lecteur boulimique, mais curieusement ce ne sont pas les œuvres de Jules Verne ou d’Alexandre Dumas qui l’ont le plus marqué. Je me souviens plutôt de Croc-blanc de Jack London, de Quo vadis ? de Mankiewicz, du Livre de la jungle de Kipling ou des romans de Serge Dalens dans la collection « Signe de piste ». Vers treize ou quatorze ans, je lisais aussi des auteurs comme Hector Malot (Sans famille), Gilbert Cesbron (Chiens perdus sans collier), Hervé Bazin (Vipère au poing), Jules Renard (Poil de carotte), etc.
Breizh-info.com : Quels sont vos romans préférés ?
Alain de Benoist : Question classique, à laquelle il est toujours difficile de répondre. Disons que je relis toujours avec plaisir Les jeunes filles de Montherlant, Les deux étendards de Rebatet ou Mort à crédit de Céline. Mais il y en a tant d’autres que l’on aimerait citer !
Breizh-info.com : Existe-t-il un écrivain dont vous auriez lu toutes les œuvres ?
Alain de Benoist : Montherlant peut-être, mais ce n’est pas certain.
Breizh-info.com : Votre intérêt pour un roman provient-il davantage du style de l’auteur ou du récit ?
Alain de Benoist : Les deux sont pour moi indissociables. Je suis sensible aux exercices de style qui s’appliquent à jouer des beautés et des subtilités de la langue, mais je m’en lasse vite sans narration un peu construite. En poésie, en revanche, c’est évidemment le style qui prime tout.
Breizh-info.com : Pensez-vous que les romans ont davantage influencé le monde des idées que les essais ? A titre d’exemple, on peut citer les œuvres de Zola sur les luttes sociales ou « Le camp des saints » de Jean Raspail sur les flux migratoires ?
Alain de Benoist : Ce sont des types d’influence différents, mais qui peuvent très bien se compléter. On aurait tort en tout cas de sous-estimer l’importance primordiale de la littérature dans la formation des esprits. Les valeurs, les sentiments, les thématiques, les façons de voir le monde contenus dans les romans, mais aussi la poésie, les mémoires ou les pièces de théâtre, sont absolument déterminants, plus déterminants même que la plupart des essais, parce qu’elles touchent directement la sensibilité et le domaine des émotions, alors que les théories s’adressent d’abord à l’intellect (c’est à la fois leur force et leur limite).
Breizh-info.com : « La Bibliothèque littéraire du jeune Européen » présente quelques bandes dessinées comme « Le lotus bleu » (Hergé), « Le secret de l’Espadon » (Edgar P. Jacobs) ou « Corto Maltesse » en Sibérie (Hugo Pratt). Que pensez-vous de cet art ? La bande dessinée s’apparente-t-elle à la littérature ou au cinéma ?
Alain de Benoist : C’est d’abord un art visuel, et en ce sens la bande dessinée s’apparente effectivement au cinéma. Mais le texte a aussi son importance : on le voit tout particulièrement chez les trois auteurs que vous citez. C’est d’ailleurs la raison de leur présence dans notre livre, qui a évité de s’aventurer trop loin dans le domaine des genres spécialisés (bandes dessinées, polars, science-fiction, etc.).
Breizh-info.com : Appréciez-vous particulièrement certaines bandes dessinées ?
Alain de Benoist : J’en ai lu des quantités industrielles dans mon enfance et ma jeunesse (à cette époque, on ne parlait pas encore de bandes dessinées mais d’« illustrés »). Par la suite, j’ai tenté de suivre la production, mais elle a enflé dans de telles proportions que j’ai souvent eu du mal. J’ai néanmoins l’impression qu’il y a actuellement un certain renouveau de la BD.
Breizh-info.com : Vous avez déjà révélé (Cinéphile n° 5, Exil H, youtube) que vos films préférés sont « Les rapaces » (Erich von Stroheim, 1924), « Metropolis » (Fritz Lang, 1927), « L’ange bleu » (Josef von Sternberg, 1930) et « La grande illusion » (Jean Renoir, 1937). Deux de ces films ont été tournés à l’époque du cinéma muet. Malgré l’absence de paroles, pensez-vous que le cinéma muet diffusait davantage un message que le cinéma parlant ?
Alain de Benoist : Je ne sais pas s’il diffusait davantage un message, mais il était sans doute plus fidèle à sa vocation. Le cinéma, ce sont d’abord des images qui bougent (movies, disent les Anglo-Saxons). C’est en cela qu’il a été novateur. Réaliser un film muet, en s’appuyant sur des écrans insérés ici et là, est évidemment un travail dont on a aujourd’hui presque perdu l’idée. Le cinéma parlant ajoute un supplément, parfois heureux, parfois malheureux (les films qui reposent trop sur les dialogues tombent souvent dans le théâtre filmé), mais qui, à mon avis, n’est pas indispensable. C’est pourquoi, en effet, quand on parle de cinéma, je pense d’abord au premier Fritz Lang, à Murnau, à Feuillade, à Victor Sjoeström et à tant d’autres. Le cinéma parlant, c’est une autre époque. Le cinéma en couleurs aussi. Vous auriez d’ailleurs pu relever que les quatre films que vous citez étaient tous des films en noir et blanc !
Propos recueillis par Kristol Sehec
La Bibliothèque littéraire du jeune Européen : 400 œuvres de fiction essentielles. 728 pages, 24,90 euros. Editions du Rocher.