Article de Nicolas Gauthier paru le 3 mars 2023 sur le site Boulevard Voltaire
L’époque est, paraît-il, au dialogue et à la bienveillance. Peut-être. Mais jamais les Français – ou plutôt ceux qui font profession de penser pour eux – n’auront autant refusé toute forme de dialogue contradictoire, tout en professant une malveillance affichée. Pour résumer, la vulgate dominante nous dit : on ne parle pas avec ces gens-là et, pis, ils n’ont pas le droit de parler, puisqu’ils ne partagent pas nos « valeurs ». « Valeurs » de « dialogue » et de « bienveillance », il va de soi. Bref, à gauche, on ne débat presque plus qu’entre personnes du même avis ; soit l’exact contraire du débat.
Ces « gens-là », ce sont évidemment ceux de droite ou tenus pour tels, à l’instar d’Alain de Benoist, l’un des fondateurs du GRECE (Groupe de recherche et d’études sur la civilisation européenne), intellectuel pour le moins inclassable et bien connu de nos lecteurs. Pourtant, à l’approche de Pâques, il n’est pas interdit de croire aux miracles, la preuve par le dernier éditorial de Jacques Julliard, transfuge du Nouvel Observateur ayant demandé l’asile politique à Marianne.
L’article commence fort : « Alain de Benoist est, avec Pierre-André Taguieff et Michel Onfray, un des trois intellectuels français à publier en moyenne deux à trois livres par an, sans bâcler ni sans vraiment se répéter. » Il est vrai qu’on ne saurait en dire autant d’un Bernard-Henri Lévy ou d’un Jacques Attali. Et notre audacieux de poursuivre : « En raison de l’hégémonie actuelle de la gauche dans le domaine des idées, Alain de Benoist est assurément un des grands intellectuels les plus méconnus de notre temps. Il a l’élégance de ne pas s’en plaindre. » Peu de choses à ajouter à cet aimable portrait.
Le meilleur vient après : « J’ai toujours remarqué que l’extrême droite est moins de droite que la droite modérée, malgré les apparences. Pourquoi ? Parce que, le plus souvent, l’extrême droite privilégie les idées, tandis que la droite modérée privilégie toujours les intérêts. » Ces mots peuvent paraître énigmatiques, mais ils sont lourds de sens. S’il fallait résumer le paradoxe, il ne serait pas incongru de remonter à François Fillon et à sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. Là, une certaine « extrême droite » lui apporte ses idées, catholiques et conservatrices, dont il se fait le héraut plus ou moins consentant. Mais, au soir du premier tour, le candidat malheureux appelle à voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, alors que le ministère de l’Intérieur n’a même pas rendu les résultats officiels. Une fois encore, les intérêts réels auront eu raison des idées supposées.
Tout cela, Jacques Julliard l’analyse mieux que bien. Tout comme il sait qu’Alain de Benoist, qu’il a lu, lui, au moins, ne correspond pas tout à fait avec l’idée que l’on peut se faire d’un penseur de droite, puisqu’il se sent en meilleure compagnie avec « Joseph Proudhon, la Commune ou Georges Sorel » qu’avec les traditionnels « Robert Brasillach et Joseph de Maistre ». Ce n’était un secret pour personne, mais il est élégant de le reconnaître.
Au téléphone, le principal intéressé nous confie : « Jacques Julliard est un homme d’une grande honnêteté intellectuelle. Théoricien de la nouvelle gauche, sociale-démocrate, ce n’est pas pour rien qu’il a été celui de la CFDT. Il est tout aussi proche que moi de Georges Sorel, l’homme du syndicalisme révolutionnaire, ce qui nous fait un point commun dont il est très agréable de discuter lors de nos déjeuners ou dîners pris en privé. »
Cela n’empêche pas le même Jacques Julliard de mettre en exergue les désaccords qui l’opposent à Alain de Benoist : son anti-universalisme, principalement, même s’il salue sa rigoureuse critique du « néoracialisme identitaire », si en vogue dans nos universités. Alain de Benoist nous confie : « Tout cela est éminemment logique. Jacques Julliard est universaliste parce que chrétien. Mais chrétien, je ne suis pas. Le tout consiste seulement à avoir encore le droit d’en débattre. »
Jacques Julliard et Alain de Benoist montrent l’exemple. On attend les suivants.
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